Grâce au développement de la protection sociale, aux progrès de la médecine et à l’évolution des modes de vie, nous sommes entrés, sans même nous en apercevoir, dans la société de la longévité. Mais au-delà des gains en termes d’espérance de vie et de la hausse de nombre de seniors, ce sont les mentalités et les représentations qui sont en jeu… La notion de bien vieillir peut se concevoir comme un discours moralisateur ou comme un levier pour bénéficier de la seniorisation de la société. S’il est possible de bien vieillir, alors prendre de l’âge n’apparaît plus – ou pas- seulement comme une malédiction, une défaite, un échec.
Le bien vieillir s’inscrit dans la définition de l’Organisation mondiale de la santé pour qui « la santé est un état de bien-être physique, mental et social ». Pour savourer la vie, le temps libéré, les années gagnées, mieux vaut être en bonne santé et préserver ses capacités physiques et cognitives. L’allongement de la vie a aussi plus de sens pour une personne qui se donne le droit à des désirs, des curiosités, des projets, des rencontres… On pense, on interagit, on développe des projets aussi avec son corps. La vieille séparation du corps et de l’esprit ne tient pas la route : les recherches en neurologie comme en psychologie montrent l’interaction entre la santé et la psyché. De nombreuses études empiriques mettent en avant l’importance de la personnalité et de déterminants psychiques dans le processus de soin. La pratique croissante, dans un cadre régulé, des médecines complémentaires (acuponcture, méditation, chiropraxie…) marque bien l’attention renouvelée des citoyens pour la prévention, le pouvoir d’agir sur sa santé et le bien vieillir1.
Pour autant, se sentir en bonne santé ne suffit pas. Avec 20, 25, 30 années devant eux, les nouveaux seniors2 ne peuvent aborder leur « après-midi de la vie », sans projets, désirs et envies. Comme pour toute norme, nous a appris Canguilhem3, il existe mille manières de vivre l’avancée en âge. Bien vieillir ne relève pas des sciences exactes mais de données physiologiques objectives, d’un ressort personnel, d’un environnement social, d’un rapport qualitatif au monde…
S’agit-il de vieillir longtemps ou de vieillir jeune ? Est-ce d’abord d’être en forme, de plaire, de faire jeune ? L’enjeu n’est-il pas de vieillir dans la convivialité, de développer des liens sociaux, de participer à la vie commune, d’être un contemporain ? Bien vieillir serait en premier lieu, la capacité à avancer en âge en bonne forme et en acceptant, avec un minimum de recul, les années qui s’ajoutent. La problématique d’une avancée en âge sereine repose sur la capacité à maintenir et développer le plaisir et le sens de vivre, à entretenir un capital social, au sens de Putnam où il s’agit de la capacité de l’individu à rester en lien avec les autres, avec ses semblables4. Bref à se sentir bien dans sa peau, bien dans son âge, bien dans sa relation au monde. L’enjeu du bien vieillir ce n’est pas de répondre à une norme imposée par la société jeuniste où le « bon vieux » serait celui qui ne gêne personne, qui reste jeune, qui se met en retrait du jeu social, qui ne coûte rien à la société…
Bien vieillir c’est une dynamique, une attitude, une manière de vivre dans l’histoire, tout en préservant, dans la mesure du possible, ses capacités physiques, neurologique et psychiques.
Rédigé par Serge Guérin, sociologue et professeur à l’INSEEC, spécialiste des questions liées au vieillissement et à la « seniorisation » de la société, des enjeux de l'intergénération et des théories de l'éthique de la sollicitude.
1 : V Suissa, S Guérin, Dr Denormandie, Les médecines complémentaires et alternatives, Michalon, 2019
2 : Serge Guérin, Silver Génération, Michalon, 2015
3 : Georges Canguilhem, Nouvelles réflexions concernant le normal et la pathologique, Puf, 1966
4 : Robert D. Putnam, “Bowling alone. America’s Declining social Capital ”, Journal of démocraty, 1995