Traiter le bien-vieillir, c’est aussi traiter la fin de parcours. Pour certains, cela signifie l’admission en Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). Pour aller plus loin et avoir un regard de l’intérieur, MGEN a interrogé Aline Dumont, infirmière coordinatrice à Arès.
Travailler dans un établissement pour personnes âgées, est-ce que c’était une vocation ? Quel est votre parcours ?
Initialement, j’allais plutôt vers la puériculture et finalement, je me suis dirigée vers la psychiatrie. Diplômée en 1997, j’ai tout de suite commencé en gérontopsychiatrie (prise en charge des troubles psychiatrique dès l’âge de 60 ans). Après une expérience très enrichissante dans plusieurs services, j’ai voulu changer et je suis arrivée ici assez vite en tant qu’infirmière coordinatrice.
Je me sens tout à fait à ma place aujourd’hui. J’avais cherché un poste en psychiatrie mais il n’y avait pas beaucoup d'ouverture, et finalement en EHPAD on en fait beaucoup. Les troubles émergent très vite à l’entrée en EHPAD, et on fait de plus en plus de psy au quotidien.
Comment s’est passée la crise sanitaire dans votre établissement ?
On a eu de la chance de ne pas avoir de cas COVID dans l’établissement, mais on avait tout de même mis en place une organisation au cas où le besoin se serait fait ressentir. Heureusement, on n’en a pas eu besoin ! On a tout de suite dit à nos personnels que, s’ils ne se sentaient pas en capacité de gérer la situation, cela s’entendait tout à fait, mais il fallait nous alerter et demander à se mettre en arrêt. Personne ne l’a fait, et c’est tant mieux ! Mais cela a demandé beaucoup de sacrifices. Personnellement, j’ai mis ma famille de côté pendant une année entière. Mais tout le monde a trouvé sa place. On n’est pas des superhéros, mais on fait au mieux !
J’aime la relation humaine, que ce soit avec les résidents, les familles ou les agents. On l’a bien vu avec cette crise de la COVID, il faut se porter à l’écoute du personnel et maintenir les gens à flot, sinon la relation thérapeutique en pâtit. Histoire de dédramatiser un peu la situation, j’ai organisé quelques TikToks une fois que la journée était plus calme. Et ce n’est qu’un exemple, plein de choses ont été mises en place.
En termes de personnels, de résidents, de places : vous travaillez aujourd’hui dans une grande ou petite structure ?
On est plutôt une grosse structure, même si on n’est pas au niveau du territorial ou parfois ça monte jusqu’à 400 résidents. Nous, on en a 92 : 78 en unité conventionnelle, ce qu’on appelle l’EHPAD, et 14 en unité de vie protégée (qui accueille les ambulants, les Alzheimer). C’est une unité fermée, qui a son personnel et qui travaille en autonomie. C’est complètement un autre travail, parce que même si on organise tout au niveau des horaires par exemple, on vit au rythme du résident : celui qui veut un petit-déjeuner à 4h du matin, on lui fait ; celui qui angoisse pendant la nuit et qui a besoin d‘une animation, on va le faire aussi.
Quel est exactement votre poste aujourd’hui, quelles sont vos missions et quels sont les moments clés de votre journée ?
Je suis responsable de l’équipe soignante, mon travail c’est de les encadrer. Au quotidien, c’est surtout de la planification : trouver des remplacements, faire les plannings de roulement, etc. Trouver des remplacements, c’est compliqué. On arrive à s’en sortir, s’il y a besoin on met la main à la pâte pour les soins, les activités, la plonge, l’hôtellerie, etc.
Il y a aussi l’organisation de la formation, parce qu’on accueille des jeunes non diplômés qu’on aimerait diplômer d’ailleurs. C’est quelque chose qui va pouvoir se faire de plus en plus avec les contrats d’apprentissage. C’est important que les gens montent en compétences, mais ce que je mets en avant c’est la bientraitance : on traite les gens comme on aimerait être traité. Si vous n’avez pas les connaissances mais que vous avez ce versant humain, vous avez déjà beaucoup.
Notre journée avec les résidents commence à 8h15 avec le petit-déjeuner. Le temps de jeûne entre le dîner et le petit-déjeuner est long, alors on propose des collations de nuit notamment pour les diabétiques. Le soir, un relai est fait avec les équipes de nuit pour savoir qui a mangé, qui a passé une plutôt bonne journée, qui va certainement avoir du mal à dormir, etc. Même si les horaires sont importants, on essaye de s’adapter au maximum aux résidents : quand on sait que quelqu’un a mal dormi, on ne va pas le réveiller tout de suite, on le laisse dormir et on lui proposera son petit-déjeuner et sa toilette un peu plus tard, voire l’après-midi pour la toilette. Parfois il vaut mieux différer ce temps, et le prendre l’après-midi. On se base aussi sur les projets personnalisés qu’on établit pour savoir si le résident aime dormir un peu le matin ou non, ses habitudes, etc. S’il veut dormir un peu, on lui dépose le plateau dans la chambre et quand il se réveille, il sonne pour qu’on vienne le voir.
Les tournées du matin se font toujours à deux, j’y tiens : un aide-soignant et un hôtelier. Ça permet de se réveiller en douceur, se présenter, ouvrir les volets, prendre des nouvelles, et dire tout de suite aux infirmiers si on sent que le résident ne va pas bien, ou n’est pas comme d’habitude. Le petit-déjeuner conditionne la journée, tout comme le coucher conditionne la nuit.
Pour moi, le nursing ce n’est pas vraiment du soin, je ne le vois pas comme ça mais plutôt comme un temps partagé, un moment d’échange où on discute avec le résident, on apprend plein de choses. Je dis toujours aux équipes que, s’ils pensent que la personne a besoin de plus de temps de toilette, il faut le prendre et on s’excuse auprès du résident suivant, puis le lendemain on inversera. C’est important, même si des fois ils ont la tête dans le guidon parce qu’ils n’ont pas le temps de tout faire.
Donc vos deux moments clés sont le petit-déjeuner et le coucher, mais est-ce qu’il y a d’autres moments ou facteurs qui conditionnent une journée dans l’établissement ?
Les repas sont effectivement notre gros temps fort. Pour le reste de la journée, on essaye d’en instaurer afin que les résidents ne s’ennuient pas car les journées peuvent être longues. On a une animatrice à plein temps qui propose des choses. Je peux vous donner deux exemples :
- Les lundis et vendredis matin, elle prend un groupe pour faire de la gymnastique douce
- Le mardi matin, elle fait une sortie “marché” quand il fait beau, avec les résidents et des bénévoles familles. Comme on a la chance d’être en centre-ville, c’est plus facile et ils adorent cette sortie-là.
On peut avoir aussi des intervenants extérieurs qui viennent comme il y a peu : on a eu une association qui est venue animer des après-midi glaces, crêpes et gaufres. Maintenant les résidents ont également accès à la borne musicale interactive, en libre-service puisqu’elle est dans la salle à manger. Ils commencent à s’en servir tous seuls petit à petit. L’autre soir un résident s’est levé un peu avant le repas, a mis une musique, et on s’est tous mis à chanter. La musique c’est sympa parce que c’est spontané, ça fait appel à beaucoup de choses, de souvenirs, de la parole, et c’est ce qui les fédère le plus.
Quand les agents ont un temps-mort dans leur journée, que ce soit les agents ou les hôteliers, ils proposent souvent des Trivial Pursuit ou d’autres jeux comme ça, et s’il fait beau ils vont faire une promenade dans le parc surtout avec les résidents qui voient moins leurs familles.
Les personnes non-autonomes participent aussi aux activités. Quand on est sur des activités un peu plus cognitives, c’est plus complexe mais au moins ils sont présents et ça peut faire beaucoup de bien. Là encore, ça fait appel à beaucoup de choses, ça fait émerger des souvenirs ou des mots alors que la personne ne parle plus.
Si vous aviez un souhait, une baguette magique, qu’est-ce que vous aimeriez améliorer d’un coup, pour vous et évidemment pour les résidents ?
Il y a toujours la problématique du manque de personnels, mais au-delà de ça ce serait de tout réorganiser parce qu’on a de gros temps forts où on n’a pas assez de monde. Le plus flagrant c’est l’après-midi, après le repas et jusqu’à 16h environ, parce qu’elles ne sont que deux. Alors que c’est un moment où tous les résidents veulent se reposer en même temps, les sonnettes n’arrêtent pas de retentir de tous les côtés, et c’est là que l’anxiété monte le plus chez eux. Quand vous avez des gens anxieux, vous avez des gens qui ne mangent pas, qui ne dorment pas, et c’est là qu’il faudrait ajouter du temps.
Tous les matins, du lundi au dimanche, on a un temps de transmission partagée à 10h15 où tout le monde se retrouve : les soignants, les non-soignants, la secrétaire (qui nous donne les visites du jour par exemple), l’homme de maintenance, la jardinière, etc. Tout le monde est là et on échange, c’est un temps convivial de partage des informations du jour etc.
C’est très intéressant de voir que l’équipe autour du résident ne soit pas uniquement l’équipe soignante.
C’est souvent ce que je dis aux non-soignants en effet, ils sont pour nous une mine d’or car ils ont accès à des informations que nous n’aurons jamais. Les résidents ne se livrent pas du tout de la même façon aux soignants qu’aux non-soignants. Alors oui, vous faites le ménage, mais l’entretien correct de l’établissement c’est la base du respect du résident ! Maryline, la jardinière, quand elle vient rempoter une plante, discute avec les résidents. Grâce au parcours personnalisé, on connaît les passions de nos patients et on sait leur en parler. Mais quelqu’un qui est passionné de fleurs préférera largement discuter des heures avec Maryline parce qu’elle va apporter quelque chose.
D’ailleurs elle vient avec son chien de temps en temps le weekend, avec l’accord du directeur, pour faire de la médiation animale. Ça a beaucoup de succès ! Ça va libérer la parole de certains résidents, et on voit des choses formidables en termes de mobilité par exemple. Quelqu’un qui n’arrive jamais à tendre le bras même pour la toilette parce que ça lui fait mal, et bien là il va tendre le bras spontanément pour caresser le chien, et il n’y a pas de douleur à ce moment-là. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est énorme !
Et après, au-delà de notre établissement, on travaille avec la psychologue, l’équipe mobile de soins palliatifs avec qui on a conventionné parfois parce qu’ils ont une autre approche et qu’on ne peut pas réponde à tout. On doit impérativement repérer toute difficulté, en lien avec le médecin coordinateur, la psychologue, ou encore le médecin traitant et nos intervenants extérieurs.
Vous parliez tout à l’heure d’un autre volet de votre travail, l’accompagnement des familles. Comment est-ce que cela se passe ?
Concrètement la plupart du temps on fait une pré admission pour rencontrer la famille, et le futur résident, quand c’est possible bien sûr. Ça va nous donner une première approche. La psychologue aussi va les rencontrer. J’indique toujours aux proches où est mon bureau, qu’en principe je suis disponible et si je ne le suis pas, je les redirige vers les infirmiers. C’est important que la famille puisse avoir des renseignements quand elle vient, des informations sur le quotidien, l’évolution et l’état du jour du résident.
Souvent la problématique avec les familles, c’est la non-acceptation, parce qu’il y a l’amour du proche. Nous on est professionnels de santé, on n’est pas dans l’affect. On s’attache aux gens évidemment, mais on doit rester à notre place, on n’est pas la famille.
Souvent, quand les gens rentrent en EHPAD, ils se disent que c’est la fin de leur vie mais non. Nous on considère l’EHPAD comme un lieu de vie, et on les accompagne jusqu’au bout de leur vie. Et quand ils sont en bout de parcours c’est un accompagnement différent. Parfois, on est obligés de dire aux familles de prendre du recul, et de ne pas venir tous les jours, parce que c’est trop compliqué. Ce n’est pas grave, ni culpabilisant. On ne peut pas venir voir son proche dans cet état de stress, il faut venir un jour sur deux, espacer, et surtout : venir quand ça fait plaisir, pas quand c’est compliqué de franchir les portes.
Attention, car dans l’autre sens j’ai tendance à dire que l’institution “institutionnalise”. C’est à dire que les résidents, une fois qu’ils rentrent, ont du mal à franchir la porte de l'établissement pour rentrer chez eux. Malheureusement ils se sentent en sécurité ici, et ce n’est la faute de personne. Le retour est compliqué, le regard de la famille est compliqué, des voisins, de l’autre en général. Je dis aux familles qui veulent ramener le proche à la maison de faire attention à ses réactions, etc. Souvent les familles nous disent qu’ils ne savent pas comment faire, des fois il faut accompagner aux toilettes ou pour toutes ces choses du quotidien et c’est compliqué. Dans ce cas, je conseille de plutôt venir déjeuner, dans la structure ou un restaurant de la rue à côté. Ne forcez pas, il faut que ça reste des moments plaisir et conviviaux pour tout le monde. C’est le bout de leur parcours, oui, mais faisons tous en sorte que ça se passe le mieux possible.
Je n’hésite jamais à rappeler également qu’on a une double casquette en tant que personnel soignant : nous sommes les professionnels de santé mais on est aussi “famille de” dans notre vie personnelle, donc on vit ou allons vivre potentiellement les mêmes choses qu’eux. On ne peut pas se mettre à leur place bien sûr, mais on sait ce qu’ils peuvent ressentir. C’est important d’en parler, voire de dédramatiser parfois parce que quand on voit un proche qui perd complètement la tête, qui insulte tout le monde avec un vocabulaire qu’il n’a jamais utilisé auparavant, attention, ce n’est pas la psyché naturelle et puis surtout ce n’est pas grave. Il faut comprendre aussi que si la personne réagit comme ça, c’est qu’elle se sent agressée dans son monde à elle, donc c’est à nous de nous mettre à sa portée.